Rencontre avec Gilles Amalvi, poète et écrivain, à la bibliothèque Lucien Rose (Rennes), après avoir enregistré au parc du Thabor le chant des oiseaux pour introduire l’Assemblée Générale de l’Hermine du 7 février 2011.
Gilles Amalvi a publié deux ouvrages : Une fable humaine (2005) et Aïe ! Boum (2008) aux Editions Le Quartanier.
Étaient présents avec l’artiste : Jean-Jacques, Dominique, Marie-France, Hugues, Gaël, Benoît, avec Sylvie et Céline qui nous accueillent avec bienveillance à la Bibliothèque.
Le Chant de l’Hermine : Vous êtes poète et écrivain, et comme nous avons pu le voir avec l’enregistrement du chant des oiseaux, vous vous intéressez au son. En quoi consiste votre travail d’artiste ?
Gilles Amalvi (GA) : J'ai commencé en écrivant principalement de la poésie – des textes rimés, mis en forme comme de la poésie. Progressivement, j’ai commencé à essayer de jouer avec le format poétique en intégrant d’autres genres. Par exemple : commencer un texte à la manière d'un roman policier puis, soudainement, le transformer en une sorte de poème ou de chanson. Dans mes livres, il y a souvent des mélanges, des croisement entre diverses formes littéraires. A cause de cette impression de multiplicité, de voix se répondant les unes les autres, j’ai eu envie de m'intéresser au son – pour voir comment trouver une ambiance correspondant à l'écriture.
L’Hermine : Vous faîtes des récitals de poésie ?
GA : En quelque sorte. Je lis à voix haute ce que j’écris et je tente de trouver des sons correspondant aux ambiances de mes textes. La première fois, c’était avec un comédien, pour un projet appelé « Radio Épiméthée ». En effet, le livre était composé à la manière d'une émission de radio, avec différentes voix, et parfois, des changements de fréquences. Du coup, j'avais envie d'essayer de lire ce livre avec une autre voix. Au final, il y avait deux voix, la sienne et la mienne – accompagnées de sons que j’avais récupérés : des extraits de films, de chansons… Ce qui est bien aujourd’hui c’est qu’avec le montage sur ordinateur, on peut mélanger et monter ensemble des choses très diverses.
Maintenant, lorsque j’écris, je pense toujours à l’ambiance sonore que je voudrais créer. Quand mon dernier livre est sorti, j’ai tout de suite composé une lecture pour l'accompagner… Et j'aime bien le principe de « l’homme orchestre » : je suis au micro et je fais le récital ; je lis le livre, et en même temps, j’utilise des instruments autour de moi, je les fais intervenir dans la composition, ça donne comme une sorte…
L’Hermine : D’osmose ?
GA : Oui, de symphonie, où il y a la voix, les instruments, le son de l’ordinateur…
L’Hermine : Ce sont des sons abstraits – comme des bruitages – ou bien des sons concrets, comme les oiseaux ?
GA : Il m'arrive d’utiliser des sons concrets, par exemple lorsque je conçois des pièces sonores, à la manière d'une émissions de radio ; mais le son documentaire est plus difficile à manier techniquement, il faut de l'entraînement. Lorsqu'on commence à maitriser cette pratique, ça peut donner des choses intéressantes, comme ce que nous venons de faire avec les oiseaux – donner une ambiance…
L’Hermine : Tropicale !
GA : Voilà, c’est ça qui est intéressant avec le son : c’est à la fois concret et abstrait. Lorsque nous avons enregistré les oiseaux, nous étions autour d’une volière dans le parc du Thabor : de notre côté, nous connaissons l’ensemble des repères. Mais si on faisait écouter ces oiseaux à quelqu’un qui n’était pas là, il pourrait se croire dans la jungle, ou à Tahiti... La valeur imaginaire du son est très importante – et c'est ce que je recherche quand je passe à la composition sonore. Je mets mon travail d’écriture en relation avec la musique, le son, la voix, en essayant de les faire résonner ensemble.
L’Hermine : Pour l’Assemblée générale de l’Hermine, on cherche à créer une ambiance qui ouvre justement à l’imaginaire. Les oiseaux, ça relaxe, et dans l’enregistrement on y a ajouté des petites voix, des sifflements. En musique de fond, on pourrait se croire en été, avec du soleil, on pourrait presque enlever son pull et se mettre en tee-shirt… Les oiseaux ont une expression qui permet de se sentir mieux – qu’on soit dans le noir ou la lumière, le matin ou en pleine journée.
GA : Oui, c'est vrai. Et dans l’enregistrement que nous avons fait, on a l’impression que certains oiseaux se mettent à parler comme une personne. A la manière d'un soliste dans l’orchestre des oiseaux...
L’Hermine : Quand vous présentez oralement votre travail, s’agit-il d’une performance, d’une improvisation ?
GA : C’est très préparé, très écrit ; la seule partie « live » étant la manipulation des instruments. Le logiciel que j’utilise me permet de mixer en direct les éléments. Je m’appuie sur une partition et à tel moment du texte, je déclenche tel son. Ça doit être calé comme un opéra !
L’Hermine : Vous pouvez donc le reproduire de la même façon une autre fois ?
GA : Chaque lecture est différente, la voix est toujours différente. Je peux avoir un ton plus léger, ou au contraire plus grave – selon mon humeur. Mais la partition reste la même.
L’Hermine : Quel type de textes écrivez-vous ?
GA : Je viens de la poésie. Ensuite, mon travail a évolué en amalgamant la poésie à du polar, à de la science-fiction : des genres différents que je questionne les uns par les autres. Mon dernier livre commence avec une enquête policière – un commissaire qui recherche un criminel. Progressivement, les indices qu’il recueille font retour sur le langage, sur ce qu’il pense, sur ce qu'il cherche. On quitte le personnage, le langage s'autonomise, se met à parler « tout seul », et ça devient un poème.
L’Hermine : « Il y a comme une influence du langage sur la personne qui parle, et automatiquement on en arrive à une sorte de « cérébralisme » : les questions qu'il se pose deviennent une poésie ?
GA : Tout à fait. Ce sont toutes les questions qui résonnent dans sa tête qui vont former la poème.
L’Hermine : « Comment fait-on pour reproduire une sonorité par l'écrit ? Pour restituer la présence de différents personnages, la différence entre plusieurs mondes sonores ? Par la note musicale sans doute, le meilleur moyen qui a été inventé pour ça est la note de musique.
GA : Tout à fait. Sur cette question des registres de voix, je traite cela par le cinéma. Quand un de mes personnages change de voix ou lorsqu’il y a une profusion de voix, je vais traiter cela comme si c’était un film. J'essaie de produire des voix ou des visages « codés », renvoyant à un univers référentiel partagé : par exemple, quand dans une série policière, le commissaire fait telle mimique en fonction de telle situation. En décrivant le cadre, en écrivant par exemple « Le commissaire sort de sa voiture. Il allume une cigarette et regarde autour de lui (au ralenti). Rien à signaler. Encore une enquête qui commence bien », je suggère des références, des manières de parler que l'on a tous en tête. Et le lecteur est libre de s'imaginer la façon dont le commissaire dit cette phrase, en fonction de ses propres références cinématographiques.
L’Hermine : Quand on est écrivain, on a affaire à l’imaginaire. Comment faire pour ne pas être débordé par ses écrits ? Comment faire abstraction de ce qu’on a vécu, de nos peurs, de nos joies… ? Quand vous travaillez, est-ce que vous arrivez aussi à vous en extraire, à vous poser, à penser à autre chose, à laisser vos rêves à ce qu’ils sont ?
GA : Sur cette question du rapport à l’angoisse, à la joie, c’est-à-dire au trop plein, je dirais que le passage au son – pour ne pas faire que de l’écriture – a été pour moi un début de solution. Lorsqu’on ne fait qu’écrire, on peut rentrer dans un mécanisme où l'on est tout seul dans sa tête : on se coupe des autres, on fonctionne en circuit fermé. Ça peut être créatif, mais ça peut aussi devenir très angoissant. Et puis il y a quelque chose d’épuisant dans l’écriture. Lorsque j’ai commencé à manipuler des sons sur l’ordinateur, il y a eu un apaisement car ce n’est pas du tout la même énergie. Du coup quand je suis dans l’écriture et que ça m'étouffe, qu’il y a trop de sens – ou plus du tout –, je passe à la musique, au montage. Comme dirait un écrivain que j'aime beaucoup, Henri Michaux : je « change de gare de triage ». Quand les mots n’ont plus rien à me dire, qu’ils deviennent des objets vides qui ne racontent plus rien, alors, hop !, je bascule sur le son.
L’Hermine : Mais si on arrive à être en « phase » avec la musique et que tout ce qu’on fait – se faire à manger par exemple – est dérangé par la production personnelle ? Si on se pose sans arrêt des questions, comment fait-on lorsqu’on est entièrement absorbé par l’œuvre qu’on écrit ?
GA : Je vous avoue qu'il m'est déjà arrivé de laisser cramer des plats parce que je pensais à mes idées plutôt qu’à la cuisine… Pour apaiser cette mécanique de questions qui ne s'arrêtent pas, je peux très bien décider d’arrêter d’écrire – écouter de la musique classique ou rester dans le silence. Actuellement, je suis sur un projet d’écriture, et lorsque je n’ai plus d’idées, quand je sens que je suis bloqué, je pars me promener, je marche et je prends des notes lorsque j’estime qu’un événement dans la ville pourrait être dans mon roman. Pour le projet « Radio Epiméthée », qui est une adaptation théâtrale de mon premier livre, le fait d'être passé d’une écriture complètement solitaire à un processus collectif – avec un comédien, un vidéaste – m'a permis d'extérioriser l'écriture, pour que ce qui était dans ma tête devienne un peu collectif. Une dramaturge était présente également, pour dire ce qu’elle lisait dans le texte. Elle avait un autre point de vue, le texte était extériorisé par rapport à ce que moi j’y avais mis. Elle y voyait des choses que je n'aurais jamais imaginé – et qui étaient très juste d'ailleurs !
L’Hermine : C’est ça qui est bien quand on met en commun nos points de vue, le cerveau est moins envahi…
GA : Oui. L'important je crois, c’est de trouver un équilibre entre l'obsession qu’on a dans la tête et dont on a besoin malgré tout – parce qu'on ne peut pas créer sans ses obsessions – et le fait d'être envahi par cette obsession. Il faut faire en sorte que l’objet artistique ne nous bouffe pas. Et à un moment, il faut que cet objet puisse être déposé. En relisant mon premier livre, une fois qu'il était publié, j'avais quasiment l'impression que c'était quelqu'un d'autre qui l'avait écrit ! J'étais allé jusqu'au bout de cette obsession, et je pouvais la contempler de l'extérieur, et mieux la comprendre. Dans l'écriture, et dans la création en général, je crois qu'il faut un battement : il y a un temps pour être dedans, et un temps pour être dehors. Un temps où l'on est tout seul avec sa création, et un temps où elle appartient à d'autres – aux lecteurs, aux auditeurs. Peut-être que créer finalement, c'est réussir à s'expliquer quelque chose de notre rapport à l'obsession, plutôt que d’être objet de cette obsession.
L’Hermine : Merci beaucoup d’avoir pris du temps pour nous rencontrer. Nous aurons l’occasion de vous lire puisque l’Association l’Hermine va se procurer vos ouvrages qui seront disponibles à la Bibliothèque de l’Elan à Rennes.